Mon petit voisin 

    

      Il s'appelle Gilles, c'est mon petit ami, il a huit ans.

     Beau comme un angelot de Michel-Ange, la frimousse toute en rondeur, les cheveux blonds pareils à la soie ancienne d'un abat-jour, des yeux à damner une légion de diablotins, le sourire, ah ! le sourire... à faire fondre la mer de glace ! On dirait une figurine de mode ! toujours pimpant dans son blouson de velours sombre, son pantalon assorti, ses petites bottines de toile colorée, ses pulls amusants, il me fait penser à une appétissante sucette luisante à force d'être léchée.

     Ses courtes visites me ravissent.

     Quand il a de " beaux"  points en classe, il accourt, tout guilleret, avec son cahier, et, tels deux collègues, nous commentons, nous comparons, nous discutons sérieusement. On dirait deux vieux maîtres préoccupés par un cas.

Il vient également après un cours de judo, je reçois alors, en pleine figure, un langage étrange, farci de mots incompréhensibles, avec gestes à l'appui, deux petites mains jointes se tournent vers moi et j'ai droit au plus gracieux salut d'un autre continent.

     Il vient aussi me faire le compte rendu de "sa" kermesse, c'est féérique ! Dans son regard où galopent des chevaux d'apocalypse, passent des manèges enchantés, des autos tamponneuses, des tirs où on "attrape des tas de montres en or avec une grue"... ses yeux s'éteignent soudain quand il déclare pathétique : " J'ai usé tous mes sous !".

     Mais le fin du fin, ce sont les reportages de ses matches de foot. Je tremble alors pour l'émail du frigo, des armoires, de la cuisinière, car il croit à son talent dans notre cuisine. Il mélange avec la plus grande fantaisie les inters et les avants, les Van Buyten et les frères Mpenza... des coups de pied dans le vide partent dans toutes les directions. Pour que mes répliques fassent "vrai", je me suis documentée, il a donc un public intéressé, un supporter pour lui seul, il est comblé ! C'est avec un grand bonheur qu'il m'en met plein la vue, ses scores sont sensationnels, ils vont de 13 à 0 sans sourciller, c'est du délire !

     Heureux petit Gilles qui dans son innocence, ne mesure pas les immenses joies qu'il m'apporte gratuitement, pour le plaisir.

     Il ne ménage ni ses extravagances ni ses énormités lorsqu'il voit que je "marche". Il ne sait pas à quel point ses visites me sont nécessaires ni quels moments d'oubli il me fait vivre en m'emmenant dans son monde d'enfant. 

Quand il s'en va, joyeux feu follet, ses deux bonbons en poche : un pour lui, un pour le petit frère, et qu'il disparaît sur son minuscule vélo de courses par le coin du jardin comme le soleil derrière un nuage, je retombe à pieds joints dans le monde des adultes. Une baguette magique s'est brisée d'un coup sec, mon coeur remonte au bord des lèvres, serrant au passage mes cordes vocales, il se fait un grand vide chez nous.

 ©YMathieux

Déco Cloé

crédit dolls :  http://de.geocities.com/glitzerdiamant/index.htm