Deuxième prix TEE - sujet : Les femmes

Revue littéraire des Cheminots

La Juive

 

Elle avait le caractère de sa race, elle en avait aussi la beauté.

       Petite fille, elle avait acquis cette façon ondulante de marcher, ce sourire distant, ce goût du mystère sous ses voiles. Déjà, elle faisait place aux hommes, eux qui se croyaient tout pouvoir.

      Adolescente, elle obéissait aveuglément au Talmud qui disait que le fête de Pâques est " savoureuse comme l'olive " alors, elle dansait. Sa silhouette menue comme un tanagra, ses yeux où se baignait une étoile lointaine, son teint d'ambre, ses lèvres vermeilles, ses mains pareilles à des dentelles de porcelaine en faisait un précieux bibelot d'offrande. Elle vivait pieuse, fière et pure cependant qu'elle se savait citoyenne d'un peuple maudit. Les occupants qui asservisssaient son pays se disaient des dieux, alors, retirée sous ses voiles, elle laissait faire, heureuse d'abandonner la rue aux hommes et son coeur à la Providence.

   Dans sa petite maison blanche aux murs épais et rassurants, aux ouvertures rares et minuscules, abritée des rayons indiscrets d'un soleil sans pitié qui regardait de son oeil jaune un paysage doré planté d'oliviers, la jeune juive façonnait sa poterie, cuisait le pain, enliait le vin, tissait ses voiles en repoussant d'un geste de reine sa magnifique chevelure qui lui assaillait les épaules et les reins.

     En ce temps-là, elle rêvait d'amour, il vint avec le printemps. Un brave garçon, solide, sûr, barbu, charpentier de son état, l'emmena chez lui et fit basculer le coeur de la petite juive dans la béatitude.

Pleine de grâces, elle assistait son mari et élevait son fils. Ses yeux où se baignait toujours la même étoile, comme alanguie de mystère, posaient sur un monde irréel, accessible à elle seule, un regard d'espérance. La beauté, la poésie étaient ses armes, l'amour était sa force. Sa vie s'écoula comme toutes les vies.

     Devenue vieille, la petite juive toujours enfouie dans ses voiles, seulette sous les oliviers, errait jusqu'à l'épuisement. Elle avait perdu l'étoile de ses yeux. Souvent, elle allait au Mont, et là , assise à l'ombre d'un ilot d'arbres qui formaient une croix, elle s'endormait, espérant revivre le rêve qui la hantait.

     Elle se voyait alors dans une maison cossue de patricienne, son enfant enveloppé de langes de soie dans les bras. Elle le déposait dans un berceau cotonneux sur des toiles fines aux précieuses dentelles, personne ne venait troubler son sommeil. Seuls son mari et elle penchés jalousement sur l'enfant, incrédules devant tant de bonheur, enfermaient toutes ces choses dans leur coeur. Elle se souvenait des premiers sourires, des premiers pas, du premier cadeau : ce petit âne gris compagnon de jeux de son fils, elle entendait ses rires, son laborieux langage de tout petit. Une paix sublime se répandait sur le visage de la juive comme celle qui éclaire le visage des morts tandis que son rêve se prolongeait... ce fils, ce bel adolescent doux et fort qui grandissait en âge et en sagesse, qui devenait cet homme si beau,  que les rois enviaient, que les pauves adoraient, que les amis suivaient et qui n'avait pas d'ennemis. Il parlait comme " le livre ", il souriait comme un Dieu, il se révoltait contre l'injustice et toujours, il pardonnait.

     A ce souvenir, transpercée par un glaive, la petite juive reprenait conscience de la terrible réalité. Elle se serrait dans ses voiles, baissait ses beaux yeux éteints, ravalait ses sanglots et s'en retournait voûtée sous le poids de sa douleur. Marie, le petite juive avait tout perdu mais le monde avait tout gagné : elle lui avait donné son fils.

©YMathieux

       

° Crédits : Cloé,Sanne,LYsa